MONTAGNES MAGAZINE

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Pierre Béghin n’aime pas parler de lui. Nous avons donc souffert et fait souffrir lors de cette Interview qui s’est néanmoins déroulée dans la bonne humeur. Car si Pierre Béghin a la réputation d’être un personnage un peu austère, c’est qu’il cache une sensibilité tourmentée, attentif à ne pas trop se prendre au sérieux. On a parfois l’impression qu’il « plane », selon une expression en vogue. Le regard perdu dans le vague, il accroche des idées au passage, revient sur d’autres, semble vouloir ne pas trop attacher d’importance à ce qu’il dit. Sa préoccupation est-elle, comme il le dit, de ne pas s’ériger en juge, en héros, ou en vedette? Certes, et ses paroles ont un accent de sincérité qui ne trompe pas. Il semble étonné de ce qui lui arrive. Messner a dit de son exploit, que « c’était l’un des plus grands».

Pierre Béghin, lors de son ascension solitaire, s’est photographié lui-même. Les photos prises de loin l’ont été au téléobjectif par sa femme.

PROPOS RECUEILLIS PAR BERNARD AMY ET PASCAL SOMBARDIER

Qu’est-ce qui t’a déterminé à partir tout seul?

Je me suis décidé dans la face Nord du Jannu, quand j’étais resté tout seul au dernier camp, parce qu’il faisait mauvais. Je me suis dit « Pourquoi ne pas partir tout seul? » Après le Jannu, je voulais une autre expérience qu’une expédition classique.

Tu as toujours eu du goût pour le solo, de toutes façons?

La dernière course en solo que j’ai faite, c’était le Pic Sans Nom en 1976. Je ne veux pas faire que du solo, même si c’est une expérience exceptionnelle. Car il faut rester prudent. Certains se sont laissés entraîner dans des choses de plus en plus extrêmes. Mais arrive le jour où le fil casse.

Et le Kanch en solo te paraissait raisonnable?

Oui, enfin, il y a des 8 000 plus accessibles en solo. Mais je voulais connaître le Kanch. Au Jannu, nous avons tout le long espéré voir le Kanch qui était caché par l’arête sommitale. C’était en quelque sorte la récompense. Je me sentais brimé de n’avoir pu le voir.

Ton objectif initial était bien de grimper sans aucune aide?

Oui, sans sherpas ni quiconque. Le problème, comme je n’étais pas acclimaté, c’était que je devais gravir plusieurs fois les mêmes pentes, puisqu’à côté il n’y avait aucun autre sommet possible. Messner, au Nanga-Parbat, a pu faire une seule reconnaissance et partir directement vers le sommet parce qu’il revenait de l’Everest et qu’il était parfaitement acclimaté.Etant donné mon boulot, je ne peux pas, comme lui, faire trois sommets dans une saison.

Tu n’as pas l’ambition de le faire?

Je crois que vouloir réussir des enchaînements de 8 000 « pour faire mieux que Messner », c’est une impasse. Il faut faire ce qu’on a envie de faire. Ceci dit, je suis fasciné par les hauts sommets, je ne le nie pas. Je suis sensible comme tout le monde à la barrière des 8 000 mètres. Cela est dû aussi au contexte publicitaire des expéditions. Si l’on veut trouver du fric, on est obligé de passer par là. J’ai bien vu quand j’ai fait le Jannu. La face Nord a beau être la plus difficile qui existe, le sommet ne fait que 7 700, alors ça intéresse moins de monde.

Le Kanch en solo, c’était pour toi aussi par intérêt commercial?

Vu l’engagement et la préparation que ça m’a demandé, on ne peut pas dire ça. Je suis d’ailleurs juste rentré dans mes fonds. On peut dire que ça me lance – enfin, je ne sais pas si ce terme est bien choisi – pour la suite, mais ce n’est pas pour cela que je l’ai fait. Ça me fascinait d’être tout seul. C’est à la fois plus facile et plus difficile que d’être à plusieurs. On ne doit compter que sur soi-même, mais on est aussi plus souple, on fait ce que l’on veut.

Un bon moyen de résoudre les problèmes d’entente …

Ah oui, je ne me suis disputé avec personne, si ce n’est avec mon ombre. L’équipe qui est venue au camp de base et qui y est restée, faisait ce qu’elle voulait de son côté.

C’est quand même une aide psychologique de savoir que sa femme, ses amis sont proches?

Oui, si ma femme n’avait pas voulu partir, je n’aurais peut-être pas fait le Kanch en solo. J’avais besoin pendant la marche d’approche d’une espèce d’environnement humain. Sans cela, une telle aventure devient effrayante, inquiétante, même pour celui qui la vit. Farmer a vraiment fait du solo, mais ce qu’il a fait avait un côté assez inhumain.

A partir du moment où le sportif veut aller toujours plus loin, cela ne se justifie-t-il pas?

Le navigateur solitaire ne fabrique pas son bateau tout seul. On est toujours tributaire d’un contexte social qui fait que l’on doit en parler autour de soi, trouver des sponsors, etc. Quand on est seul, le plaisir de la conception est multiplié. Cette expé, c’était « mon truc », « ma chose ». C’est assez égoïste. On ne partage avec personne. Mais par contre, la motivation que j’avais sur place était vraiment énorme, justement à cause de ça. J’avais tellement investi. C’est pour ça que ça a marché, je pense.

Il y a des moments où tu aurais aimé ne pas être seul?

Les difficultés sont comparables à l’Innominata au Mont-Blanc, alors ça va. Par contre, ce sont les passages sur glacier crevassé qui sont problématiques. Je faisais de grands détours.

On te surveillait aux jumelles du bas?

Ma femme et le médecin étaient montés sur une arête à 6 000 pour me suivre aux jumelles et prendre des photos. De toute façon, ils n’auraient pas pu monter s’il m’était arrivé quelque chose.

Et psychologiquement, qu’est-ce qui est le plus dur ?

Le moment que l’on passe dans les camps à se faire la popotte. C’est très long, très angoissant, surtout le silence qui pèse lourdement, qui empêche de faire des raisonnements, de s’évader. On est complètement imprégné de cette ambiance extérieure. On n’arrive pas à avoir du recul, à se demander pourquoi on est là. Même quand on grimpe, les idées se suivent de façon incohérente. Seules, les réactions devant les obstacles restent réfléchies. On prend même plus de précautions. Alors finalement, on a plus de chances de succès en solo qu’à plusieurs. Car, en équipe, c’est toujours le moins en forme, le moins motivé qui tire les autres vers le bas. Si dans une cordée, l’un dit à l’autre qu’il a froid aux pieds, il lui fera prendre conscience d’un état désagréable. A partir de là, il pourra se dire lui aussi: « C’est complètement idiot, qu’est-ce qu’on fait là ? », etc. En solo, on a moins de chance de basculer dans le renoncement. On peut s’imaginer aussi, bien sûr, que certains solistes renoncent par peur, mais je reste persuadé que le fait d’être seul augmente les chances de réussite.

Tu parles un peu comme si tu étais déçu de tes expériences précédentes …

Non, mais je constate simplement que dans une équipe, chacun marche à son rythme, chacun compte un peu sur les autres et que ceux qui sont les moins motivés tirent les autres vers le bas.

Il faudrait une équipe parfaitement homogène …

Ça n’existe pas. Ce n’est pas une question de compétences. Ce qui se passe, c’est que tout le monde ne peut pas avoir la meilleure forme au même moment, que certains peuvent se lasser avant la fin et perdre le moral, etc. Ceci dit, partir en solo et perdre cette dimension humaine de l’équipe, c’est presque dommage. Je le répète, si ma femme ne m’avait pas accompagné au camp de base du Kanch, je ne l’aurais peut-être pas fait. J’avais besoin de partager cette expérience avec quelqu’un d’une façon ou d’une autre.

Tu trouves ton équilibre entre ta vie privée, professionnelle et l’alpinisme?

Ce que je fais dans la vie de tous les jours m’intéresse mais ne me suffit pas. Il me faut une aventure extrême avec un but très précis. On peut imaginer que l’aventure qui consiste à créer une entreprise, par exemple, est un peu identique. Mais il faut l’assumer sur une longue durée, la faire vivre. Dans une expédition, il y a une différence dans la mesure où une fois celle-ci terminée, qu’elle soit un échec ou une réussite, on n’en parle plus, c’est fini.

Cela concerne d’ailleurs l’alpinisme dans son ensemble. Certaines personnes se moquent un peu de nos « héroïsmes », et disent que nous les fabriquons, tout en sachant qu’ils prendront fin. N’y a-t-il donc pas quelque chose de faux là-dedans?

Il y a surtout quelque chose de rassurant, parce qu’on sait justement que la situation dans laquelle on s’est plongé prendra fin un jour ou l’autre.

Alors, le véritable « héroïsme » ne consiste-t-il pas à faire face à des situations qui n’ont pas de fin?Oui, mais dans ce cas, c’est un héroïsme anonyme. Or, nous sommes dans une société où il faut des héros. Et ce sont ceux qui ont choisi consciemment les difficultés qu’ils auront à combattre qui sont présentés comme tels.

Tu te définis comment au milieu de tout ça ?

Le problème, c’est que l’on a besoin d’argent pour partir, et que si l’on parle de ses projets, c’est forcément en rentrant dans ce jeu de héros, de vedettes, etc. C’est pourquoi je n’aime pas du tout « donner des coups de trompettes » avant de partir. Je suis un peu superstitieux, et je me dis que je risque d’être sanctionné de cette espèce de vanité par l’échec.

Tu risques d’arriver maintenant au stade où l’on donnera des coups de trompettes pour toi.

Contrairement à Messner, j’ai un boulot de chercheur qui m’intéresse. C’est une dimension importante de ma vie qui s’équilibre avec l’autre. Sur le plan intellectuel, ça m’oblige à me creuser les méninges.

Les expés aussi?

C’est quand même différent. J’aurais peur d’être trop polarisé.

Néanmoins si quelqu’un en France peut vivre en ne faisant que des expés, c’est bien toi.

Vous dites ça parce qu’on m’a proposé comme « élite internationale » au cas où il y aurait un « statut d’athlète de haut niveau ». Ce statut m’intéresse, non pas pour vivre des expés, mais pour aménager mon métier de façon à partir peut-être plus souvent, mais surtout plus facilement. Actuellement, il faut se bagarrer pour pouvoir partir. C’est souvent fastidieux, mesquin.

Ce statut n’officialiserait-il pas d’une certaine façon la compétition latente entre toi et d’autres himalayistes?

Je me sens plus ou moins en compétition avec d’autres. C’est plus une « comparaison ». Je me dis : «Tiens, machin, il a fait ça; c’est intéressant », mais je ne me dis pas: « Je vais y aller et le faire plus vite.» Je ne suis pas allé au Kanch pour mieux faire que Messner. D’ailleurs je n’ai pas fait mieux. Je ne suis pas le premier à avoir fait un 8 000 en solo.

Tu es le premier Français …

Pas le premier à l’avoir tenté. De toute façon, il faut une motivation autre que se dire « Je vais être le premier Français à faire ça, etc. »

Alors, quelles autres motivations? Est-ce qu’on n’est pas poussé par les règles implicites du milieu social, par ses modes, à faire des choses qu’on n’aurait pas faites de soi-même?

J’avoue que la lecture de la presse spécialisée n’est pas pour rien dans mes choix. En lisant votre interview de Messner, comment ne pas être fasciné par ses aventures. Et on a le droit de se dire: «Pourquoi je n’essayerais pas moi aussi de vivre ce genre d’aventure sur les 8 000 ! » On est pris dans une sorte de tourbillon. Un tel a gravi la Walker en cinq heures, un autre a fait le pilier d’Angle en deux heures, etc. Et moi, je suis là au milieu, à l’écoute de tout cela. Alors forcément, je ne peux m’en exclure et je suis un peu la mode. C’est peut-être pour ça que Messner a dit: « Celui qui essayera de m’imiter est sûr de mourir ». C’est vrai ; il vaut mieux suivre sa voie ; mais ce n’est pas évident. Comme tout éclate dans tous les sens, c’est difficile d’avoir une voie très originale.

Tu as l’impression d’avoir trouvé ta voie?

Oui, et je m’y sens bien. Je vous dirais que le plus beau moment de mon expé, ça a été le retour, beaucoup plus que le sommet. Quand je suis repassé dans les vallées que j’avais traversées à l’aller, personne n’était au courant de mon aventure. Après, en France, c’était fini, ça ne m’appartenait plus: la presse commence à écrire des trucs. Je suis obligé de raconter vingt fois de suite la même chose. Alors que dans le village de Yamphutin, les gamins se foutaient autant de moi au retour qu’à l’aller, en rigolant gentiment. Je trouve ça extra, parce que là-bas les héros n’existent pas. Ici, tout est galvaudé.

Alors, ceux qui montaient au sommet de l’Everest pour faire une émission en direct, perdaient, d’après toi, de beaux instants?

Eh bien, au Kanch, j’avais la possibilité d’avoir un poste émetteur-récepteur entre le camp de base et moi et ce que je disais aurait été retransmis sur la France par Katmandu. Je me suis dit: « C’est complètement disproportionné. Ça ne veut plus rien dire.» Les dieux de la montagne n’auraient pas accepté que j’aille au sommet. Je suis un peu superstitieux.

En solo, on a moins de chance de basculer dans le renoncement.

Mais tu pars bientôt avec l’expédition de Jean-Pierre Frésafond au K2, dont le moins qu’on puisse en dire est qu’elle n’est pas un modèle de discrétion?

Oui, et je n’étais pas d’accord avec la façon dont elle a été présentée. La plaquette « emplacement à vendre » ne dénote pas une grande finesse. C’est de la réclame, au sens où on l’entendait en 1950.

Quelle différence réelle avec ce que tu fais toi ?

Frésafond l’a bien dit: « Vous me critiquez, et à côté vous faites de la pub pour X ou Y. Il y a quelque chose qui ne va pas! ». Où est-ce que la moralité s’arrête ? Moi, je n’en sais rien. C’est très subjectif. Où la pub doit-elle s’arrêter? Vous le savez, vous?

Là-bas, les héros n’existent pas. Ici, tout est galvaudé.

Est-ce qu’elle ne s’arrêterait pas là où elle commence à te gêner?

Effectivement. Cette histoire de poste-radio, par exemple, m’a travaillé un moment. Mon problème, c’est de me dire « Comment je vais partir l’année prochaine!» Quand je vois comme j’ai ramé cette année pour ramener 4 000 F par-ci, 2 000 F par-là, je me dis parfois que si je voulais …

Patrick Edlinger, dans son domaine, semble avoir franchi une étape supplémentaire?

Yannick Seigneur aussi, si l’on en juge par ce que le Figaro a publié à propos de l’Everest. Ça a fait hurler tout le monde. Alors, entre celui qui ne fait rien et celui qui fait une pub monstrueuse, où est l’équilibre?

Où est le tien?

Je pense qu’au retour du Kanch sera publié ce qui me semble normal; ni trop, ni trop peu. Il faut rester honnête. Après le Jannu, il y a eu peu de pub, c’était normal pour un échec.

Pourquoi? Dans la mesure où tu prouves que tu es allé jusqu’au bout de ce que tu pouvais faire?

Où est-ce que cela s’arrêtera? Il y aura toujours quelqu’un pour dire. « Si ça avait été des Japonais ou des Polonais, ils auraient été au sommet. » Les jugements qui seront apportés à ce propos seront toujours trop subjectifs.

Le fait que tu aies laissé un altimètre au sommet pour prouver que tu y es allé, montre que tu attaches une certaine importance à la reconnaissance sociale de ton exploit.

Question insidieuse! Mais, c’est tout à fait normal. A partir du moment où on entre dans un système, on en est forcément tributaire. A moins que l’on soit suffisamment riche pour trouver les quinze millions nécessaires, on est forcé de dire qu’on est allé au sommet.

Est-ce que tu ne dirais pas que tu as fais tel ou tel sommet, si tu n’étais pas obligé de trouver cet argent ?

C’est très difficile. S’il n’y avait aucun environnement social, si le milieu des grimpeurs n’existait pas, combien d’entre eux feraient des choses qui sortent de l’ordinaire? On est dans une chaîne, on participe à une évolution, tout cela est normal. On a en plus de droit d’aimer parler de ses aventures. C’est un plaisir de plus. Malheureusement, je suis toujours rapidement gêné. D’abord parce qu’il me faut raconter toujours la même chose, ensuite parce que je me dis que c’était très, très dur, mais qu’après tout, il y a peut-être beaucoup de gens qui auraient été capables de le faire. Je me pose plein de questions comme ça. Et pour finir, ça devient du passé, et ça perd de son intensité.

Parlons de l’avenir alors, tu le vois comment?

Je pense qu’il me serait difficile de refaire une expédition lourde; quand je pense à ces infrastructures de l’expédition nationale au K2, c’est dingue. 1 400 porteurs! Au Kanch, j’en avais 35. En altitude, j’ai monté 40 kilos. Au K2, il y avait quatre tonnes. J’ai éprouvé un certain plaisir grâce à ce dépouillement. Je pense exposer ces contrastes dans un livre où je raconterai plusieurs de mes expéditions.

Mais tu ne condamnes ni ne préconises telle ou telle tactique?

J’estime que le défaut de Messner, c’est justement de s’ériger en juge suprême, de prophétiser un peu trop. La zone de la mort, c’est son truc. Il ne faut surtout pas y mettre les pieds. Bien sûr, s’il y a quelqu’un qui peut se permettre tout cela, c’est lui. C’est un grand bonhomme. Avec le pourcentage de succès qu’il a eu, on ne peut plus parler de chance.

Le plus beau moment, ça a été le retour. Après, ça ne m’appartenait plus.

Et l’himalayisme français te paraît-il aussi terne que l’a décrit Claude Deck lors de la dernière réunion de la FFM sur les expéditions?

Non. Ça ne m’a pas plu du tout. En France on aime bien cette espèce d’autodénigrement. Soit on est des vedettes, même si on n’a rien fait de terrible, soit on est des minables. Claude Deck a dressé un tableau très sombre de l’himalayisme français, disant qu’on était présent sur aucun des grands objectifs. Les grands objectifs, c’est quoi? La face Sud du Dhaulagiri, celle du Lhotse, quelques autres encore. Or, quand Jaeger a tenté la face Sud du Lhotse, tout le monde a crié au fou. C’est quand même curieux que si peu de temps après, les mêmes personnes nous demandent ce qu’on attend pour aller là-bas. Les Français ont réussi des choses étonnantes ces dernières années. L’Everest en 78, c’était quand même la première fois. Barrard et Narbaud au Hidden Peak en ski de fond, l’idée était excellente. Et les jeunes qui sont montés au Gasherbrum II sans avoir jamais été en altitude avant! Il y a eu le Jannu par l’éperonSud-Ouest, Barrard et sa femme au Gasherbrum, Ghilini au Dhaula …

Et puis ce que tu as fait toi: le Manaslu, le Dhaulagiri …

On a aussi tenté le Jannu par la face Nord. On n’a pas réussi, mais ça aurait pu faire, quoi!

Est-ce que ce n’est pas un des problèmes de l’alpinisme français, et des Français en général, que de ne pas innover mais de prendre les innovations des autres et de les améliorer ensuite?

Il est vrai que c’est le cas du « free-climbing ». En himalayisme, il est exact que les innovations sont venues des Anglais, et maintenant plutôt des Yougoslaves et des Polonais. Dans toute l’histoire de l’alpinisme, on peut en effet trouver des exemples de ce que vous dites. Desmaison est allé plus loin que Bonati dans la difficulté, mais il n’a pas innové.

Cela tient peut-être aux institutions comme le FFM, le CAF, le GHM qui exercent une sorte de fascination, même sur les forts grimpeurs?

C’est vrai que le poids des institutions en France est lourd. Pour être guide, il faut passer par un concours, pour être ingénieur, il faut faire les grandes écoles. On ne conçoit rien sans diplômes. Aux Etats-Unis, si on a envie d’être guide, on peut l’être. Le GHM, c’était aussi une sorte de diplôme: je crains d’ailleurs que le statut d’athlète de haut niveau n’en soit qu’une version moderne.

Puisque tu as le handicap d’être Français (rires), pourras-tu innover un jour en Himalaya?

Je ne sais pas. Il faudrait demander à l’ordinateur de quelle manière on peut innover. Ghirardini a innové en tentant le Makalu en solo hivernal…

Mais il est d’origine italienne (rires).

En fait, ce qui me plairait, à moi, c’est de faire une grande face difficile, comme la face Nord du Jannu, en partant plusieurs jours à deux et sans redescendre. Le Jannu n’est pas un 8 000, il est peu connu. Là, ce serait vraiment innover.

En somme, pour innover, il faut gravir un moins de 8 000 ? (rires).

Vouloir «faire mieux que Messner »c’est un peu une impasse.